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23 octobre 2012 2 23 /10 /octobre /2012 09:39

 

Certaines nourritures, sachez-le, ont des vertus méconnues, voire inconnues de nous autres. Ce que je m’apprête à vous raconter est authentique et ne pourra en aucun cas souffrir la légèreté désinvolte de l’observateur nonchalant confortablement installé. Non ! L’histoire qui suit réclame, bien au contraire, le plus grand sérieux et requiert une attention toute dédiée à cette tranche de vie au combien passionnante des gens du spectacle. Nous vivons parfois des situations complexes, singulières, inattendues, et le showbiiinnnsss ne nous épargne en rien de ce point de vue je peux vous l’assurer.

C'est une journée plutôt tranquille, tout semble vouloir se dérouler idéalement dans ma cuisine et cela pour le bien de tous. La fin d’après-midi est proche et je finalise les dernières touches du repas de ce soir. Le menu est simple, rôti de porc aux olives pour ce qui est du premier choix et dos de cabillaud au pesto de coriandre pour ce qui est du second. Il est 18h00, les premiers musiciens se hâtent la faim au ventre pour attaquer le diner.  Pour une bonne compréhension de l'histoire il vous faut savoir que la plupart des membres du groupe sont américains et, comme presque tous les anglo-saxons, leur estomac semble persuadé, et cela pour une raison qui m’échappe, que le repas du soir se situe entre 17h00 et 18h00, quasiment l’heure du goûter.  Bon.

Le service débute et je commence à servir les premières assiettes. Un rôti par ici, un poisson par là et tout le monde semble se réjouir à l’énoncé du menu… Tous, jusqu'à ce que le batteur du groupe déboule en cuisine l’air timide mais convaincu. Je ne crois pas me souvenir de son prénom mais son allure, son accoutrement, son âge aussi, genre vieux black buriné fraichement débarqué du Mississipi me donne presque envie de m’en souvenir en le baptisant Dr John. Le voilà devant mon plan de travail et dans un anglais aussi clair pour moi que les eaux d’un marécage, il  me demande de lui servir du poulet. Je lui fais remarquer très justement que l’intitulé du menu ne mentionne à aucun moment la présence de poulet et que bien malheureusement je ne pourrais que lui conseiller de s’en remettre à cet excellent rôti de porc ou à ce merveilleux dos de cabillaud. Les traits de son visage se durcissent. D’une main ferme il replace son chapeau américain, articule quelques mots, américains eux aussi, pour me faire comprendre qu'il sait de quoi est composé le menu de ce soir puisque ses oreilles fonctionnent et qu’il ne saurait trop me conseiller de considérer sa requête avec la plus grande attention et cela dans le but unique de voir le gallus gallus domesticus tant désiré, cuit et croustillant de préférence, garnir son assiette vide.

N'ayant pas de chapeau je passe alors la main dans mes cheveux français lui expliquant gentiment qu'en dehors du choix précédemment cité je n'ai rien de plus à lui proposer et qu’il m’en voit fort navré. Je sens maintenant l'embarras poindre dans le son de la voix de Dr John lorsqu'il me dit qu'il est allergique aux poissons, ce qui explique facilement pourquoi il n'en mangera pas ce soir, et que le porc sous toutes ses formes lui est interdit par les préceptes de sa religion fraichement acquise, suite à quoi il ajoute qu'il souhaiterait plus que jamais manger du poulet.

Avec beaucoup de tact je lui confirme une nouvelle fois que je n'ai pas de poulet, que si j'avais su j'aurais pris soin de considérer ses préférences culinaires et cela dans le seul but de satisfaire au mieux les attentes de sa majesté.

Mais Dr John veux manger du poulet ce soir quoi qu'il arrive alors il ajoute, avec force, qu'un tout petit morceau même ferait l'affaire. Et il me tend son assiette pâle, propre et… vide. Je suis un garçon bien élevé et je suis de bonne constitution, je remercie au passage ma mère sans qui la suite de l’histoire aurait été bien différente, j’aurais peut-être, avec joie, giflé ce malotru en m’enfuyant lâchement vers le cours d’une vie plus normale. Mais je reste calme, je le jauge du regard avec une forme de dédain mal assuré, puisqu’il me fait maintenant un peu peur, et lui dis ceci : "Je n'ai pas de poulet. Je comprends et j'entends ce que vous me dites. Mais, je n'ai pas de poulet. Je n’en ai jamais eu, je n’en ai pas, et je n’en aurai sans doute jamais, même pas un tout petit morceau. Je suis vraiment désolé pour ça. Voilà !"

 J'ai besoin de poulet, me rétorque-t-il, trouves-moi du poulet !

Je vous dis que je ne pourrai en trouver ni maintenant ni plus tard puisque tous les poulets de la région ont été mangés la semaine passée par un de vos compatriotes en mal du pays qui avait lui aussi très faim. De fait je ne saurais que trop vous indiquer, monsieur, de reconsidérer les contraintes alimentaires de votre nouvelle confession dans le but de pouvoir vous contenter de ce que je vous propose ici et maintenant.

I just want a little bit !

NON !

But…

NOOOO !

Mais voilà qu’une lumière presque divine vient éclairer ma triste existence et me rappeler la présence de quelques escalopes de dindes dans le réfrigérateur. Quelque chose d’étrange m’avait décidé à les mettre de côté après le service de midi. Sans doute une intuition, un sixième sens, un don peut être…

Je suis donc sur le point de sauver Dr John de son calvaire avec mon presque-poulet et cela me donne une assurance de mâle dominant alors je lui tape sur l'épaule mais je regrette ce geste immédiatement et je prononce sans attendre ces quelques mots dans un anglais de cinéma dont moi seul ai le secret : "Attends une minute ! J'ai de la dinde, mec ! J’ai de la dinde !!!"

Mais je vois la mine fade de mon ami d’outre atlantique et comprends très vite que la bonne nouvelle en réalité ne l’est vraiment pas puisque tout en malaxant son chapeau de sa grosse main moite il me dit :

 

Je ne peux pas manger de dinde avant le show. La dinde, mec, ça m’endort !  

 

Là, comme mes efforts de compréhension s'apparentent  à une brasse coulée dans les eaux du Bayou je tente de reprendre mon souffle et lui demande de bien vouloir répéter ce que je crois avoir entendu.

"Caniou ripite plizzz ?... Mec !" Dis-je (I said)

Ca y est, son poing a avalé son chapeau tout entier et l’agacement encore naissant il y a peu fait place au tracas, à l’anxiété, à la nervosité et toutes sortes d’autres sentiments désagréables à mon endroit lorsqu'à nouveau il m’explique pourquoi la dinde ne fait pas partie de ses projets culinaires. Le marécage devient limpide et je comprends que ce que j'avais cru comprendre était bien ce qu'il fallait comprendre alors je ris un peu et glougloute ceci : "Aille andeursdinde alors ! " Mais il ne rit pas et ne comprendra sans doute jamais ce jeu de mot minable qui encore aujourd’hui ne me fait pas rire du tout. Enfin...

L'air désemparé qui est le mien en cet instant lui fait définitivement comprendre qu'il ne mangera pas ce soir. Dr John est furieux, il tourne les talons et disparait en maugréant quelques mots dont le sens m'échappe : « Fuck, fuck, et re-fuck ! » suivis d’un bien surprenant « asshole !!! ».

J'avoue que la situation est cocasse, inattendue et drôle en dehors du fait qu'il me semble bien que ce type s'est foutu de ma gueule avec son histoire de dinde. Celle-là on ne me l'avait encore jamais faite.

Dix minutes se passent et le tour manager se pointe en cuisine l'air contrarié et me demande des explications quant à la mauvaise humeur soudaine du batteur du groupe. Je lui explique simplement que Dr John est allergique au poisson, qu'il ne mange pas de porc par choix, qu'il veut manger du poulet, que je n’en possède pas, mais que s'il est prêt à faire un petit effort il pourra se repaitre de deux belles escalopes de dinde. A ces mots, les deux sourcils de mon interlocuteur montent très haut et très vite vers le ciel et manquent de se décrocher du front qui leur sert de point d’attache. Cette mine étrange fige son visage pour ne laisser place qu’à cette improbable phrase : "NON ! Surtout pas de dinde! Il va s’endormir sur scène !"

OK ! Dis-je.

T’as pas du poulet ?

OK ! Dis-je en faisant non de la tête.

Il adore le poulet tu sais !

OK ! Dis-je en me bouchant les oreilles.

Bon… ben… je ne sais pas moi, prends une de tes escalopes de cette foutue dinde et prépare un sandwich je le lui donnerai à la fin du show, au moins il passera une bonne nuit.

OK ! Dis-je encore.

Ouais, ouais je sais ça à l'air dingue mais… cherche pas !

OK ! Dis-je une ultime fois.

 

Dr John est donc monté sur scène sans son poulet et c’est bien dommage je vous le concède mais parfois on ne peut accéder à toutes les requêtes du monde, c’est ainsi.  

Ce soir-là je dois reconnaitre avoir pris un plaisir tout particulier à confectionner ce magnifique sandwich à la dinde. Le sourire que je n'arrivais pas à décrocher de mon visage n'était sans doute pas étranger à l’image que je me faisais de mon Dr John mâchouillant ce soporifique casse-croûte, s'endormant la bouche entrouverte, laissant quelques miettes çà et là consteller sa demi-barbe.

Je sais maintenant que dix millions d’années d’évolution auront été nécessaire à faire de cet animal anodin un remède efficace contre l’insomnie. La nature est bien faite et me fait soudain prendre conscience de la chance que j’ai d’être le témoin privilégié de son œuvre.

La vie est dingue c’est vrai, et les rencontres que nous faisons ne sont pas sans conséquences, on tire des enseignements de tout. J’ignore ce qu’il me reste vraiment de cette histoire finalement sans grande importance mais aujourd’hui je n’ai plus peur de l’insomnie, car juste à côté de moi, juste là, bien au fond, blotties dans le creux du premier tiroir de ma table de nuit, se tiennent prêtes, toujours, deux belles escalopes… Au cas où !

 

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30 septembre 2012 7 30 /09 /septembre /2012 09:54

Je suis en train d’installer le catering lorsque l’électro se pointe et me demande quels sont mes besoins électriques. Je lui montre la table derrière moi où j’ai installé mes trois bains-marie et lui explique qu’ils ont une puissance de 1,5 kilo chacun soit au total 4,5 kilos. Alors il me regarde fixement et je peux apercevoir, très nettement d’ailleurs, une bien étrange lueur poindre dans le fond de son regard et qui en dit long sur la perplexité venant assiéger en cet instant mon interlocuteur. Avec un sérieux qui me fait comprendre que la plaisanterie n’a pas sa place ici, ses mâchoires se desserrent et laisse échapper  cette phrase superbe :  

Mais… 4,5 kilos, ça fait combien en Watt ?

Je reste un instant seul et je me recueille avant d’entreprendre une réponse simple.

Heu… 4500 Watts… Dis-je.

Il reçoit mon message et me confirme son arrivée par un acquiescement  sans saveur me laissant comprendre que l’analyse de ma réponse n’est pas complétement achevée. Peut-être est-ce un tort mais je m’empresse de lui montrer  la plaque à induction juste là et lui confirme qu’elle a besoin d’électricité pour donner le meilleur d’elle-même alors je n’hésite pas et lui explique que cet appareil, à lui tout seul, développe une puissance de 3 kilos, non, pardon, 3000 Watts. Comme le monsieur est toujours  collé aux bains-marie afin de tirer au clair cette sombre histoire de kilos et de Watt, il opère un quart de tour plutôt lent sur la gauche dans le but de me faire face et recevoir cette nouvelle information. Il relève le menton, soutient mon regard, esquisse une demi-moue vaguement inspirée, et plonge la main dans sa poche pour en ressortir un i-phone. Il observe un silence. J’ignore si c’est volontaire de sa part. Il jette un œil en direction des bains-marie, et tapote quelque chose sur l’écran. D’un autre regard, plus habile celui-là, Il s’empare à présent de la plaque induction et tapote à nouveau. (...) Moins d'une minute s'écoule. Là, ses yeux se fixent sur l’objet blotti entre ses mains, d’ailleurs l’objet est presque irradié de lumière et du coup illumine le visage de l’homme. Malgré l’éblouissement dont je suis victime je remarque assez nettement qu’il refreine un sourire par de légers mais convulsifs tremblements aux commissures de ses lèvres. Alors il fixe les bains-marie, puis la plaque à induction, refixe les bains-marie, et la plaque à induction, et les bains-marie... Et dans un souffle mou que je comprends comme un soulagement, il pose une dernière fois ses yeux sur l’écran tactile et m’achève tout net me disant ceci :

OK ! 7500 Watts !       

 

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25 juillet 2012 3 25 /07 /juillet /2012 12:07

Les vacances sont propices aux activités. Cette période coincée entre juin et septembre où le soleil donne de la voix et du cœur se révèle soudainement comme étant tout à fait opportune à réveiller la part d'aventurier qui sommeille au fond de chacun de nous. Sans doute l'abondance de vitamine D en cette période ensoleillée n'y est pas complètement étrangère, peut-être aussi tout simplement le désir du plaisir simple de jouir du clapotement de l'eau et du décor somptueux qu'offre à nos yeux émerveillés le spectacle sans équivalent des gorges du Tarn. Toujours est-il que sans savoir exactement quels sont les facteurs déterminant nos choix et nos envies nous décidons cet après-midi d'aller tâter de la pagaie et de poser nos fesses dans le fond plat de quelques kayaks de location Daniela, Antoine et moi. Bonne idée ! Nous finissons notre pique-nique improvisé sur l'herbe et trouvons le loueur de canoës le plus proche. Malgré l'envie d'Antoine d'en découdre avec les eaux vives et très agitées fréquentes en amont de la rivière, la prudence et la réticence naturelle de Daniela à l'endroit des eaux tourmentées nous incitent à choisir une ballade paisible plutôt qu'une descente sportive. Car il est à noté que le Tarn, comme toute autre rivière, se trouve étroit et accidenté en amont, imposant un rythme soutenu et une vigilance de chaque instant à celui qui se risque à entreprendre sa descente et à l'inverse se verra beaucoup plus large et plat en aval, privilégiant du coup la promenade familiale.  

Nous optons pour 3 frenzy jaunes, sorte de kayak à fond plat en forme de banane, ouvert sur le dessus un peu à la manière d'une barque permettant d'être totalement libre de descendre ou monter à bord en toute circonstance. Le jeune homme qui nous reçoit s'enquière des formalités d'usage, nom, prénom, âge, profession, diplômes, allergies, tendance politique, et orientations sexuels. Nous confessons timidement notre tendance hétéro et comme pour ponctuer notre aveu, bêtement, je m'empresse d'empoigner le bras d'Antoine et par un geste presque maladroit j'arbore avec fierté notre pubère progéniture au pubescent sourire. Ce à quoi j'ajoute nous n'avons rien d'autre à déclarer monsieur le curé. Parfait me rétorque-t-il. Passé le protocole d'usage nous exigeons la présence d'un avocat. Notre requête n'aboutira jamais mais le jeune homme décide de nous équiper alors je dis bon. Nous percevons notre équipement de marin d'eau douce, à savoir un casque, un gilet de sauvetage, une pagaie, un bateau, et un container étanche dans lequel nous pouvons y mettre nos effets personnels soit une bouteille  d'eau, deux serviettes de bain, des restes d'œufs durs et de fromage, quelques croûtes de pain, les clés de la bagnole, et mon portefeuille. Bref, nous voilà fin prêt pour l'aventure. Le principe de ce genre d'expédition est simple. Le centre de loisirs d'où nous partons se trouve en aval de la rivière et selon notre choix ou notre envie ou nos craintes, un véhicule nous mène à sept, douze, quinze, ou vingt kilomètres en amont. Charge à nous ensuite de rallier la base avant la nuit. Bien évidemment comme nous n'avons peur de rien nous optons pour la première tranche, soit sept kilomètres, en prenant bien garde de demander au jeune homme responsable de l'endroit si le parcours ne comprend pas de danger particulier. Le type nous répond que non, car étant situé le plus en aval de la rivière et vu la taille de la balade que nous avons choisi, à savoir la plus courte, notre circuit s'en trouve être le plus cool de la région. Néanmoins, une légère difficulté se trouvant en toute fin de circuit ainsi qu'un rétrécissement de la rivière surmonté d'un rocher encombrant situé à une distance équidistante des deux rives en fait un passage délicat pour les non initiés mais, cela dit, tout à fait amusant. Daniela fait alors part à monsieur le curé de son inquiétude au sujet de cet amusant passage et ponctue sa remarque par un détail inattendu pour les oreilles pourtant aguerries de notre loueur d'objets flottant : "Parce que vous savez, j'ai quand même la phobie de l'eau !"

Les sourcils du bonhomme se dressent au dessus de son regard trahissant un instant son trouble.

Mais… vous savez nager quand même ?

Ben… heu… oui et non…

Le regard dubitatif du monsieur qui loue des trucs du coup en dit long sur le plaisir qu'il a à nous avoir rencontré aujourd'hui et se dit qu'un être humain sachant nager à moitié et ayant la frousse de l'eau et voulant aller faire du bateau c'est quand une chance immense dans une vie et du coup il souris et s'empresse de nous faire monter dans la camionnette blanche et poussiéreuse qui nous montera jusqu'à notre point de départ. Le bringuebalement du véhicule, les virages, les secousses, et nos mines réjouies me font dire que nous avons bien fait de venir et que notre après midi va être des plus agréables. Après un petit quart d'heure de route et une légère envie de vomir nous voilà arrivés à destination. Nous empruntons un petit chemin tordu et cabossé en bordure de la commune de Peyrelade pour atteindre en contrebas les rives presque tourmentées et la fraîcheur bienvenue du Tarn. Après une manœuvre habile nous donnons la main pour décharger nos embarcations et procéder à leur mise à l'eau. Je dois bien reconnaitre avoir du mal à dissimuler mon enthousiasme à retrouver les joies d'une petite balade sur l'eau et je m'empresse d'aider Antoine et Daniela à prendre place à bord de leur petit bateau jaune. J'embarque à mon tour et passées quelques hésitations légitimes Antoine file et fend la surface de l'eau avec une mine de réjoui de la crèche. Daniela retrouve comme un reflex le mouvement de la double pagaie plongeant une fois à droite puis une fois à gauche et la voilà partie elle aussi vers notre destin éphémère d'aventuriers en vacances. En deux coups de reins et d'avant bras aiguisés je rattrape la petite famille parce que je suis trop fort et qu'en deux mots j'ai soudain une folle envie de me la raconter. Quelle douce sensation de flotter ainsi, se laissant aller par la douceur du courant, un vent tiède nous ferait presque accepter le soleil écrasant. Il est aisé de plonger une main ou deux dans l'eau fraîche et de s'asperger les uns les autres. Nous sommes bien ! Daniela ne pense pas trop à sa peur de l'eau et du coup prend confiance en elle et en son kayak, ce qui lui permet d'aller de l'avant et même de se risquer à quelques joutes avec Antoine qui ne demande que ça. Elle s'octroie même le privilège de se promouvoir éclaireur, ce qui bien entendu l'expose à tous les dangers mais Daniela en a vu d'autres alors je la laisse faire donc. Lorsque le besoin se fait sentir on s'échoue sur des bords plats et accessibles histoire de s'hydrater, de se dégourdir les jambes. Ce parcours de fin de rivière est vraiment très sympa, on est à peine chahuté par quelques timides rapides sans panaches ici et là, quelques haut fonds nous obligent parfois à mettre pied à terre et pousser nos bateaux-bananes vers des flots plus confortables, puis on se laisse à nouveau aller au grès du courant. Bon je dois tout de même avouer que le côté confortable et tranquille de la balade me pèse un peu. Cela fait bien deux heures que nous roulons à notre rythme, c'est-à-dire 2 km/h, avec parfois des pics de vitesse à 4, wouaouwww !.. C'est à ce moment de léger agacement que je vois poindre au loin la courbure d'un rocher de belle taille, à environ 150 m, et je me rappelle le commentaire de monsieur le curé concernant la petite difficulté de fin de parcours. Je fais alors signe à mon équipe et leur fais comprendre que les choses sont en train de changer et qu'il est temps pour moi d'ouvrir la marche. Je dois sécuriser par mon expérience la petite famille mais dans le même temps je prends conscience que nous sommes sur la partie du Tarn la plus cool de la région et je me dis que peut être j'en fais un peu trop alors je ris à voix haute pour rassurer tout le monde et tout le monde s'en fiche alors je souffle et pense que je boirais bien un Ricard bien frais mais je sais qu'il n'y a plus de glaçons dans le compartiment réfrigérant du frigo et je peste alors après moi puisque je me sais à présent condamner à boire un Ricard tiède ce qui n'est pas des plus rafraichissant, putain de bordel de merde dis-je.

Mais penser à quelques glaçons est une chose risquée et dangereuse puisque je découvre le rocher qui, avant cette digression stupide d'homme qui à soif, n'était qu'un petit caillou lointain alors qu'à présent comme par magie il est pratiquement à portée de pagaie. Pareil à une machine de guerre j'analyse la situation. Le rocher fait un diamètre d'environ 4 mètres, à droite un passage étroit qui laisse 3 mètres jusqu'à la rive où l'eau prend une accélération redoutable mais sans obstacles. A gauche le relief est plus accidenté, même distance jusqu'à la l'autre rive mais celle-ci offre un bord jonché d'arbres débordant d'un bon mètre au dessus de l'eau. Entre les arbres et le rocher le courant est coupé en deux par un écueil tout juste perceptible mais bien présent. A un mètre du gros rocher en amont un plus petit oblige le courant à le contourner, tourbillonner derrière lui et reprendre de la vitesse pour finir à bâbord de notre principal obstacle. Il est à présent clair que nous devons prendre par la droite. Je me retourne et vois Daniela et Antoine me talonnant alors je hurle en pointant ma pagaie dans la direction désormais obligatoire en employant un ton volontairement injonctif ne laissant aucune place au doute : "A DROITE !!!"

Je crois comprendre qu'ils me répondent car j'entends une sorte d'aboiement rauque et saturé me faisant étrangement penser à ce qui pourrait être interprété comme un appel au secours. Je me retourne à nouveaux et je me demande pourquoi ils partent tous les deux vers la gauche ! Etant engagé dans le courant je ne peux qu'apercevoir Daniela s'écrasant sur le petit rocher en amont du plus gros et le dos d'Antoine disparaitre de l'autre côté. A la sortie du rapide je freine et me colle dans le creux de turbulences situé à l'arrière du bloc de granit. J'ai pied alors je saute à l'eau et attend le passage d'Antoine... mais rien. Il ne faut pourtant à peine que deux seconde pour passer cette légère difficulté surtout avec la vitesse du courant alors je me demande bien pourquoi il met autant de temps à débouler devant mes yeux impatients. C'est en faisant deux pas de côté que je comprends la raison de sa non venue. Son kayak s'est échoué sur l'écueil et le voilà en porte-à-faux dans l'incapacité de faire quoi que ce soit puisque contraint d'appréhender un obstacle supplémentaire l'eau passe au dessus de son bateau et vient remplir toute la partie intérieur ce qui rend toute manœuvre de remise à l'eau impossible pour lui seul. Tout en voyant l'eau s'engouffrer sans discontinuer il me crie : "Je coule, je coule".

"Mais non ! Mais non !" Hurle-je.

Antoine est peut être en mauvaise posture mais il n'est pas en danger. Pendant ce temps Daniela tente de se débarrasser tant bien que mal du bateau qu'elle a sur la tête mais la panique et la peur de l'eau rendent la tâche compliquée, mais à force de persévérance et d'envie de vivre elle finit par reprendre le contrôle de son chapeau et réussi à s'agripper au caillou qui lui fait office de bouée. Il faut savoir également que le Tarn en cette période estivale attire les vacanciers et le plaisir de naviguer à bord de frêles esquifs nous conduit tous à vouloir profiter de la beauté de des paysages locaux. C'est sûrement ce qu'a poussé monsieur Van de Casteele à emmener ses deux enfants, Epke 4 ans et Betje 5 ans, se balader tout comme nous sur le Tarn. La famille Van de Casteele navigue à bord d'un canoë orange 3 places dans notre direction. Daniela, toujours accrochée à son rocher, se demande bien pourquoi monsieur Van de Casteele s'odstine à conserver ce cap absurde qui, sans aucun doute, le mènera lui, ses rejetons et son canoë tout droit dans son œil gauche. De mon côté je lutte avec les éléments qui me ridiculisent puisque tous mes efforts sont vains. Pour le moment.     

Il me faut sur le champ aller sauver mon épouse. Le courant étant trop fort par ici je tente une approche par la face Nord du récif, je m'accroche, je lutte à contre courant et j'ignore toujours ce qui se trame de l'autre côté.

Daniela sait désormais que monsieur Van de Casteele n'aura jamais le pouvoir de changer le destin qui lui dicte l'inéluctable. A nouveau le presque jappement rauque de détresse... et puis le choc.

Mais pendant que je me demande pourquoi ma femme m'envoie des signaux canins, déboulent  devant moi deux bambins d'une blondeur réjouissante emmenés par le courant, empaquetés dans des gilets de sauvetage, braillant et agitant des bras affolés à la surface de l'eau. Cette scène est étrange dis-je. Mais voilà un canoë vide qui semble vouloir rattraper les enfants en perdition. Pourquoi ces gamins ne sont pas dans le bateau ? dis-je encore. A cet instant passe à ma hauteur un individu à moustache, lui aussi est emballé avec un gilet de sauvetage rouge, ses bras font des gestes plus amples mais pas moins désordonnés que ceux des enfants déjà échoués, eux, sur la rive en contrebas. Il vocifère quelque chose sonnant un peu comme :

De kinderen ! Het is een pa ! Ik ben er ! Hulp !!!*

Selon toutes vraisemblances ces mots doivent certainement être destinés à rassurer et apaiser les gamins. C'est en tout cas ce que je me dis au moment même où devant mes yeux tente de s'échapper une sandale en cuir que je reconnais au premier coup d'œil puisqu'elle serre à habiller un des deux pieds de Daniela. D'un geste automatique je la harponne. Je redouble à présent d'efforts pour tenter d'être plus fort que ne l'est la rivière et je progresse tant bien que mal, je gagne du terrain centimètres par centimètres, et j'aperçois enfin Daniela, elle est à quatre mètres de moi, je lutte, trois mètres, le Tarn à visiblement décidé de m'empêcher d'être le plus fort car je sens poindre le point de rupture de l'équilibre entre la force de mes quadriceps et celle du courant, je ne lâche pas la sandale, deux mètres, je suis en sueur, et ça tombe bien puisque je suis déjà mouillé, mais bêtement je pense à mes glaçons tièdes (l'erreur!), ma jambe droite lâche son appui, la gauche abdique, et les flots m'éjectent comme une catapulte dix mètres en contre-bas ou je viens m'écraser aux pieds de la famille Van de Casteele. Je tente de faire bonne figure mais je n'en peux plus. Alors le monsieur me dit dans un français teinté de mimolette et de gouda : C'est quand même un petit peu difficile. Cette phrase me motive plus que jamais et j'outre passe mes capacités physiques et entame un combat de tous les diables avec les éléments, la sandale de Daniela et la nature toute entière. Dans un effort démesuré je la terrasse enfin (la nature) car à la force d'un effort d'une rare violence je suis enfin à portée d'avant-bras de Daniela et son kayak. J'arbore avec fierté la sandale sauvée des eaux et la rends à sa propriétaire et je constate la bonne santé de Daniela puisqu'elle me dit : Ben ! Et la deuxième ?!

Dieu soit loué, dis-je, elle est saine et sauve (Daniela). Dans un effort commun nous remettons l'esquif à flot dans le sens de marche et dans une sorte de combinaison entre conviction, hasard et acrobatie Daniela parvient à embarquer. Mais avant que je ne puisse dire quoique que ce soit et que sa jambe droite ne finisse de monter à bord voilà le bateau qui s'éloigne vers l'inexorabilité du courant presqu'au ralenti mais sans résistance aucune. Les quelques branches feuillues accrochées au rocher se chargent d'obliger Daniela à se cabrer en arrière pour les éviter, sans succès, une main se bat contre le feuillage, le pouce et l'indexe de la seconde tente de ne pas perdre la pagaie à la traine derrière le kayak, sa jambe droite dit bonjour aux oiseaux dans un mouvement curieux, et l'ensemble disparait emporté par la force des choses (…). Je souffle... Je resouffle… Je peux enfin penser à mes glaçons en toute quiétude. Mais du coin de l'œil, presque hors de mon champ de vision, quelque chose s'agite, il y a du mouvement, une voix que je connais bien me parvient tant bien que mal malgré le bruit des remous tout autour de moi. Je me tourne et je vois Antoine toujours en équilibre sur son écueil qui n'en peut plus d'être là. Je comprends qu'il éprouve les pires difficultés à maintenir le container étanche encore presque à bord, mais au moment où je pense cela je vois ce même container dévisser et prendre le chemin du plus loin possible et disparaitre lui aussi derrière le rocher. Ce que je vois au-delà de ce fichu bidon ce sont les clés de voitures, l'argent des vacances et mes papiers qui foutent le camp. Du coup j'en ai plus rien à foutre de ces putains de glaçons et je me dis que cette balade est vraiment trop cool. C'est alors qu'un collègue du curé du début de l'histoire se pointe sur un canoë vert et constate la détresse d'Antoine. Et comme si le courant et la force de l'eau n'existait pas il passe à sa hauteur, le dépasse, ralenti, fait demi-tour, revient vers lui, s'empare de la poignée en caoutchouc situé à l'avant du bateau, et d'un geste simple le déloge de son caillou et le remet dans le droit chemin. Merci dis-je. Lui, me répond de rien avec un sourire même pas essoufflé. Ca m'énerve. Du coup je me jette à l'eau et me laisse porter au grè de la volonté divine et je goûte aux joies des histoires qui se finissent bien puisque je vois au loin Daniela en possession du container. Aussi sec, je revois mes glaçons qui dansent autour de moi, la famille Van de Casteele applaudit, les badauds nous lancent des confettis, la fanfare municipale et la chorale de Peyrelade entonne "Margòt vòu pas dançar" une chanson dont je ne comprends strictement rien, un feu d'artifice est tiré en plein après midi et je me dis que peut être tout ceci un peu too much alors je tourne le dos à tout ce tapage inutile et rejoins Daniela. Je lui demande si ça va, elle me dit : Cool ! Je me tourne vers Antoine, il me dit : Cool !

Après quelques derniers coups de rames nous arrivons à la base, enfin. Nous mettons nos bateaux en sécurité et allons rendre notre équipement à monsieur le curé. Il nous sourit et nous demande si tout s'est bien passé, si la balade nous a plu… Je n'entre pas dans les détails bien sûr mais je lui dis que cette petite virée était vraiment très agréable et qu'il me tarde à présent de remonter en voiture, rentrer à la maison, et aller vérifier si quelqu'un n'aurait pas eu la bonne idée de préparer des glaçons à ma place…

 

*Les enfants ! C'est papa ! Je suis là ! Au secour ! 

 

 

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12 juillet 2012 4 12 /07 /juillet /2012 07:11

Le sommeil est réparateur c’est une chose entendue, mais reconnaissons bien que nombre de paramètres entrent en jeu dans la qualité supposée d’une nuit salvatrice. Il va s’agir de trouver le juste équilibre, l’accord parfait entre les contraintes, les paramètres, les bases et les principes interconnectés permettant d’appréhender la garantie d’un sommeil sinon profitable du moins apaisé. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que ce soir je suis bien décidé à mettre toutes les chances de mon côté pour arriver sans dommages jusqu’à l’aube et du coup je rebois un dernier verre tout en pensant que l’épuisement qui m’étreint est certainement mon meilleur allié. Nous venons effectivement de passer la journée à bord d’un véhicule muni d’un moteur et de quatre roues, certes confortable, mais véhicule tout de même. Les 12 heures de routes que j’accuse ne sont pas sans séquelles et mon dos me fait dire, par le biais d’une douleur lancinante et profonde, que je dois absolument me résoudre à aller me coucher enfin. Mais nous sommes en vacances et l’ivresse du bonheur d’être loin de tout et avec ceux que j’aime m’invite à retarder l’heure du coucher pour profiter du bien être d’une soirée d’été à l’ombre des figuiers et autres vignes et arbrisseaux qui nous font grâce d’une fraîcheur tout à fait bienvenue. La maison d’ingrid, notre amie et maîtresse des lieux, est vraiment très agréable puisqu’elle nous offre le luxe d’une vue sans vis-à-vis et une perspective lointaine sur le viaduc de Millau. Mais la fatigue et l’envie d’aller se coucher étant plus fortes que le reste nous décidons d’aller enfin rejoindre nos lits. Ingrid nous mène à nos chambres, et nous découvrons avec joie le confort cosy qui va nous aider sans nul doute à prendre tout le repos nécessaire pour attaquer nos vacances de la meilleure des manières. Antoine dormira dans une chambre mitoyenne de la nôtre séparée par deux portes et à peine plus d’un mètre de couloir. Ingrid nous offre l’avantage et le privilège de sa propre chambre et nous sommes Daniela et moi ravis et sincèrement touchés. Dans le but de nous offrir le meilleur confort nocturne il nous est conseillé d’observer quelques règles sommaires. L’une d’elles consiste à prendre en compte le paramètre « chats ». En effet la maison est équipée de deux félins redoutables de gentillesse que je nommerai Consuelo et Géronimo pour meilleure compréhension de l’histoire que je suis en train de vous narrer.

Ainsi, notre tranquillité au cours de la nuit à venir mais aussi des autres dépendra de deux petits détails très simples mais qui ont leur importance. Le premier consiste à ne surtout pas ouvrir la fenêtre de la chambre sous peine de voir débarquer nos deux amis à quatre pattes au sein de notre nid douillet. La seconde étant de respecter coûte que coûte la première sans quoi je me verrai sans doute condamné à un  déséquilibre mental certain sauf si bien entendu je souhaite engager mon intimité léthargique avec Consuelo et Géronimo.

Nous nous couchons donc, Antoine dans sa chambre, Daniela et moi dans la nôtre. Fenêtre fermée. Porte fermé. Je suis bien. Ma colonne vertébrale va bien. Néanmoins un détail vient me perturber. Oui, un détail, un petit quelque chose, un rien du tout, une broutille… Il fait chaud, il fait lourd, et j’étouffe. Noyé sous ma couette mes narines cherchent un filet d’air en mouvement, des bribes d’oxygène auxquels je pourrais m’accrocher. Mais je pense à Consuelo et Géronimo et dans un soupir je me souviens des règles en vigueur ici et maintenant, alors je m’endors aussi sec. Vingt minutes plus tard je sursaute en panique car le réveil sonne déjà ! Je me dis que je n’ai jamais programmé le réveil pour qu’il sonne à cette heure stupide, et je m’aperçois très vite que faute de réveil la sonnerie en question n’est autre que la gorge de Daniela bien malheureusement encombrée d’une angine et m’offrant le privilège inattendu d’un sifflement rauque et effrayant oscillant au rythme irrégulier de ses respirations. Quelle chance me dis-je, et je me rendors aussi sec. Dix minutes plus tard je prends conscience que ce que j’imaginais être surmontable ne l’est pas du tout. A défaut de m’étouffer, à présent je ne respire plus du tout, je ne sais pas encore si je suis définitivement mort alors je me résous dans un réflexe ultime à céder au besoin d’ouvrir la fenêtre interdite et je m’arrache à notre lit confortable, et je me dirige vers la bouffée d’air qui me fera tant de bien, et je vois juste derrière le carreau le regard phosphorescent et inquisiteur de Consuelo attendant avec une impatience non dissimulée un geste de ma part qui l’inviterait à venir nous rejoindre. J’ai peur. Mais je suis courageux et presque mort alors j’ouvre la fenêtre et dis à Consuelo tout le bien que je pense d’une vie sans animal de compagnie et l’invite à me laisser respirer seul. Puisqu’il ne comprend pas un traitre mot de ce que je suis en train de lui dire je le pousse du revers de la main dans un soupir d’agacement et retourne me coucher. Ma position horizontale et l’air frais enfin présent dans ma cloison nasale me rendent joyeux et serein du coup je m’endors aussi sec !

Cinq minutes plus tard les travaux ont repris et me réveillent, mais en réalité je comprends très vite que les travaux en question se passent dans le système respiratoire de Daniela motivés par cette putain d’angine qui ne veut pas guérir malgré mon besoin de sommeil évident. Alors je me retourne pour tourner le dos au vacarme des marteaux piqueurs et Géronimo assis sur mon oreiller me fait face et me dit « miaou ». Je sursaute et j’ignore ce que signifie ce « Miaou » alors je lui dis « wouaf » et le raccompagne alors à la fenêtre et l’invite d’un revers de la main à ne plus jamais revenir dans les parages en pestant derechef.

Je retourne me coucher et constate que le chantier « angine » est en pause déjeuner puisque la respiration de Daniela s’apparente à un souffle enfin paisible. En passant je me dis pourvu que ça dure et je m’endors aussi sec.

Mon sommeil est à présent profond et me permet de pouvoir rêver à ma guise, ce qui est tout à fait normal à priori pour quelqu’un d’endormis. Alors il est question d’un groupe d’amis assez vague qui tentent de me faire comprendre que mon statut de maître du monde hyper séduisant n’est en réalité qu’une illusion, mais leurs multiples visages me semblent familiers et étranges à la fois, leur peau est couverte d’un poil long et soyeux, je crois reconnaitre la voix de l’un d’entre eux qui me pousse à tendre l’oreille un peu plus dans le but de l’identifier et de comprendre son message mais plus j’avance en sa direction et plus sa voix me semble lointaine malgré mes efforts et ce qu’il me dit me harcèle et m’obsède, je n’en peux plus car les autres tout autour de moi me regardent en se frottant contre mes mollets et se mettent à ronronner, mais la voix est de plus en plus claire, cette voix est un miaulement et j’ouvre alors les yeux et prend acte de mon cauchemar et je me gratte les cheveux car les miaulements viennent de derrière la porte de notre chambre et je reconnais le style et le phrasé de ce fichu Consuelo. Je suis un peu sur les nerfs, j’ouvre la porte, Consuelo semble content de me voir. L’ordure ! Je le ramasse, referme la porte, me dirige vers la fenêtre en grommelant des noms d’oiseaux adaptés à la situation, et je le balance par la fenêtre ! J’ouvre une petite parenthèse pour vous tous, amis des animaux, qui êtes en train de lire cette histoire. Je donne un détail important, ici la fenêtre donne sur le toit et par conséquent le fait de jeter le chat par celle-ci n’implique aucune chute du dit chat. Mais l’expression jeter le chat par la fenêtre me paraît approprié afin d’illustrer l’agacement et peut être même le désir de voir disparaître l’appentis au bénéfice d’un précipice sans fond ce qui aurait pour conséquence et avantage de voir disparaitre Consuelo dans une chute interminable et bienfaisante pour moi et mon sommeil. Mais je m’aperçois que la folie est à mes portes quand je me saisis d’un avion en papier et le jette en sa direction ce qui n’aura aucun effet sur la bête. La pause déjeuner est à présent terminée dans la gorge malade de mon épouse au bénéfice d’une reprise des travaux puisque le niveau sonores arrive à son paroxysme alors je décide de ne pas céder à la dépression et au lieu de pleurer je me couche et m’endors aussi sec.

Au bout d’une éternité, soit deux minutes et vingt-cinq secondes, je sens le poids et le mouvement de Géronimo, encore lui l’enflure, à mes pieds se frottant, s’installant, je suppose même se préparant à s’endormir à la faveur de mon propre corps physiquement à bout de force.  Je décide alors de passer sérieusement à l’action et d’en finir avec ce putain de chat à la con. Et d’un geste ultime, désespéré mais déterminé j’envoie un coup de pied circulaire digne d’un Jean-Claude Vandame afin de mettre un terme au harcèlement dont je suis la malheureuse victime d’un soir. J’esquisse un sourire idiot lorsque l’impact sourd se fait. Ma cible est atteinte !

C’est à ce moment très précis que la lumière s’allume et que Daniela me dit avec véhémence : « Non mais qu’est-ce qui te prend de me filer des coups de pied pendant que je dors ?!!! »     

Merde dis-je. La méprise est totale et bien malvenue puisque faute de punir un chat encombrant je viens d’assener un coup de latte en règle à ma propre épouse endormie et affaiblie par des travaux internes. Mais en arrière-plan juste à la fenêtre, par-dessus l’épaule de Daniela, mes deux chats terroristes Consuelo et Géronimo sont assis et me font face. Je les vois. Je les regarde et je comprends alors qu’ils ont au fond du regard et à mon endroit… le sourire aux lèvre.    

 

 

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 17:43

Antoine Fonte Me rend fou !

Il y a des jours comme ça où la douceur du temps nous épargne de l’âpreté du quotidien, de la rugosité de nos petits tracas, et on se prend à respirer mieux, à sourire, on se plaît à rêver, à embrasser notre vie et tout va bien… Tout va vraiment bien… et… soudain… Antoine  Fonte se met à parler et tout fout le camp. Le rêve n’aura duré qu’un instant. Nous voilà ramenés à la réalité par l’arrogante stupidité d’un homme blessé, piqué, touché dans son amour propre. Mais les ambitions démesurées d’un personnage de si courte envergure sont sans doute ce qui excusera cette posture sans panache. Quand on n’a pas les épaules on se laisse parfois déborder par l’humeur. C’est humain et je le comprends.

Donc je comprends Antoine Fonte, mais il me rend fou ! Alors moi aussi j’ai bien envie de me laisser aller à des humeurs et dire ce que j’ai sur la patate. Oui j’ai bien envie de dire à quel point ces gens me dégoûtent. Ce type ne comprend décidément rien à rien à la culture, en tout cas à la culture populaire. J’ai bien écouté ce que Mr Fonte a dit lors du conseil municipal et  je n’en reviens encore pas. Il fustige l’association Nomade in Metz en dénonçant une mauvaise gestion. Mais qui est ce type pour donner des leçons de gestion. Si j’en crois les annonces légales paru dans le républicain lorrain Mr Fonte a bien fait l’objet d’une liquidation judiciaire de sa propre société il n’y a pas si longtemps. Voir le lien http://www.vivametz.net/2009/10/annonce-legale-administrative-et-juridique/

Avant de donner des leçons de gestion il faut apprendre à fermer sa gueule et se rappeler d’où on vient. Mr Fonte dénonce également avec force l’absence de l’association Nomade in Metz lors des difficultés avec les riverains à l’occasion de l’implantation à Magny de l’air d’accueil des gens du voyage en mars 2009. Et ouais « j’te le confirme mon p’tit Antoine », Ils n’étaient pas là les gens de Nomade in Metz, et pour cause car si monsieur l’adjoint à la culture avait potassé ses dossiers il aurait su que l’association a été créé le 29 octobre 2010 soit plus d’un an après ces évènements. Mr Fonte pense, selon ses propres mots, que c’est plus facile de « se dandiner place de la république une bière à la main » que de s’impliquer dans le concret. Mais dites-moi Mr Fonte, est-ce que vous étiez aux côtés de Daniela Ivanova dans les camps Rom pour distribuer à manger ou des couvertures et des vêtements, ou encore contacter les services sociaux pour aider ces familles dans la détresse ? Alors dites-moi qui se dandinait une bière à la main ? Où étiez-vous ? Dans quelle soirée mondaine parliez-vous de culture et d’engagements concrets ?

La culture citoyenne, populaire et l’implication personnelle et bénévole vous connaissez ? Dites-moi franchement, vous connaissez ? Peut-être avez-vous une perception festive de l’activité des acteurs de Nomade in Metz mais c’est bien la preuve de votre manque de connaissance de ce que fait cette association au quotidien. Mais vous, ne vous arrive-t-il pas aussi quelques fois de vous dandiner une bière à la main lors de soirées au festival passage ? Cela remet-il en cause votre implication dans cet évènement ? Je ne le crois pas, et ce jugement pour ma part serait synonyme d’un manque de discernement et peut être même d’une vue étriquée du monde qui m’entoure. Je pense que vous serez d’accords avec cette question de bon sens j’en suis certain.

Vous annoncez enfin la fin du festival Nomade à Metz et son remplacement par un projet sorti de vos cartons. Mais je vous assure que Nomade in Metz n’a pas attendu sur vous pour exister et ne vous attendra pas non plus pour perdurer ici ou ailleurs. Vous pouvez ne plus le subventionner et ainsi décider de vous désolidariser mais vous ne pouvez en aucun cas décider de la mort ou de la vie de celui-ci.   

La survie de Nomade in Metz dépend de 20.000 euros. C’est la somme qu’il manque pour équilibrer le budget. C’est une somme importante et les raisons de ce déficit sont assez simples. La région lorraine a versé 10.000 euros de moins que l’année passée sans raison mentionnée. Un sponsor privé s’était engagé à verser 5000 euros et n’a toujours pas versé ce montant à l’association. Les différents manquements de la ville à fournir le matériel promis ont obligé Nomade in Metz à recourir à des fournisseurs payants. La journée du dimanche a été annulée pour cause d’intempéries ce qui a occasionné un manque à gagner conséquent sur les buvettes et stands de grillades et sandwichs. Effectivement il manque 20.000 mais est-ce vraiment dû à une mauvaise gestion ou à un mauvais concours de circonstances. Et qu’en est-il du dépassement de budget de la nuit blanche 2010 s’élevant à 200.000 euros soit 10 fois plus que Nomade in Metz. Aurait-on dû supprimer cette manifestation pour cause de mauvaise gestion ou mauvaise anticipation du budget ? Pas du tout ! La ville a trouvé les 200.000 euros manquants et l’affaire était faite. Lorsque Daniela Ivanova a demandé à Dominique Gros de l’aider à équilibrer le budget du festival il lui a répondu que s’il le faisait il devait augmenter les impôts. Je serais quand même curieux de savoir s’il existe un rapport plus ou moins étroit entre  le fait que les impôts aient été augmentés l’année passée et le fait qu’il fallait équilibrer le budget de la nuit blanche 2010…

Vous allez me répondre que « oui mais c’est pas pareil ». Bien sûr que ce n’est pas pareil. Le festival Nomade in Metz n’est pas pareil !!! Bon sang ! Il n’est pas pareil parce qu’il est parti d’une idée toute simple dans la tête de Daniela Ivanova ; lutter contre les discriminations dont sont victimes les gens du voyage, tsiganes, manouches, roms au travers de toutes expressions artistiques. Ce festival est une pure création messine menée à bien par des bénévoles. C’est vrai, on est très loin des concepts parisiens comme la nuit blanche et le centre Pompidou, ou même le festival passage qui ont trop tendances à reléguer la culture au sommet du snobisme bobo. Les centaines de milliers d’euros investis par la municipalité pour financer ce pan de la culture messine montrent bien l’intérêt à promouvoir les idées récupérées. Nomade in Metz n’est pas pareil parce qu’il porte au-delà des frontières de notre ville le nom de celle-ci au travers d’une idée de partage et de culture gratuite, d’une connaissance de l’autre, des autres. Nomade in Metz est la preuve que l’engagement citoyen par le biais de la culture à la portée de chacun est possible parce qu’elle est basée sur l’envie, la détermination, et le besoin de communier avec les différences. Nomade in Metz n’est pas pareil parce qu’il représente l’élan bénévole poussé par une force de coopération de ces acteurs issus du brassage de culture et que ce festival a lieu à Metz, qu’il est né à Metz, qu’il porte le nom de Metz, qu’il rayonne bien au-delà de Metz, et qu’il est désavoué par le maire de Metz et son adjoint à l’inculture. Cet état de fait me désole et me révolte, il met en lumière l’incapacité chronique de ces gens à accepter le fait qu’une idée ne venant pas d’eux puisse être bonne. Il montre à quel point ces gens ne supportent pas la contradiction, combien la politique et le petit pouvoir rend fou.

Mais Antoine Fonte dans cet épisode nous a montré que finalement il n’était pas un surhomme et que bien des faiblesses, tout comme nous autres, pouvaient dévoiler sa nature propre. Son agacement l’a poussé à balayer du revers de la main un festival populaire comme on en voit peu.

 Il y a des jours comme ça où l’aigreur des gens me prive de la douce fraîcheur d’une matinée d’hiver, de la tendresse des choses simple, et je me prends à suffoquer, à serrer les poings, je m’éprends de colère, et tous ces gens qui ne comprennent rien, que l’arrogance aveugle, que le mépris rend sourd me rendent, je crois, définitivement fou !  Alors il me reste à lever mon verre à la gloire des gens de bonne volonté, à ceux qui croient en la force des possibles, et en la ferveur collectives des sans attaches, je lève mon verre pour que d’autres fasse de même,  pour que dans un élan citoyen et une ivresse populaire sans précédent nous soyons ivres de vie, de cœur et de rires sans frontières !... Antoine Fonte… je vous déteste.   

  

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17 janvier 2012 2 17 /01 /janvier /2012 09:50

Les gens me disent souvent que j’ai de la chance de faire ce que je fais, que je vis des trucs cool dans mon métier. C’est vrai ! En partie. Oui je vis des bons moments, des instants privilégiés avec tel ou telle artiste, je vais ici et là, d’une ville à l’autre, et tout cela me plaît beaucoup je le concède volontier. Mais ne vous méprenez pas, ma vie dans le showbiiinnnsss est loin d’être de tout repos et il y a bien souvent des épreuves à traverser pour mériter, je pense, ce cadeau qui m’est fait chaque jour de vivre mon quotidien spectaculaire !

Je vais vous raconter une petite anecdote comme il peut y en avoir quelques fois et qui illustre bien ce qui peut être vécu parfois comme un exercice sinon douloureux du moins éprouvant. L’histoire à lieu à Paris Bercy et nous travaillons sur les dernières dates de la comédie musicale Mozart Opéra Rock. Pour vous situer le contexte dans lequel nous évoluons sur cette série de dates il faut savoir que le palais omnisport de Paris Bercy n’est pas l’endroit le plus charmant du monde et qu’à l’idée d’y travailler on ne se réjouit pas. Personne ne se dit chouette ! on bosse à Bercy !, personne ne saute de joie à l’idée de descendre dans le ventre de ce vaisseau pour une journée de labeur fusse-t-elle dans le showbiiinnnsss. C’est un endroit où l’on attend qu’une seule et unique chose c’est d’en sortir le plus vite possible. Et lorsqu’on bosse sur ce genre de production on signe en général pour une période d’au moins une semaine et mis à part le fait que la tâche qui nous incombe pèse bien sûr de tout son poids sur nos frêles épaules il va sans dire qu’autre chose de bien plus énorme vient nous harceler, nous  assaillir comme un besoin vital, une sorte de pulsion primaire qui doit sans doute s’apparenter à ce que doit ressentir celui qui est en train de se noyer ; je veux parler de cette indéfectible volonté de remonter à la surface, de hisser la tête hors de l’eau. 

Donc nous sommes mercredi et il fait peut-être beau à l’extérieur mais peu m’importe. Il doit être quelque chose comme 16h00 et je suis affairé à préparer une des multiples entrées du buffet de ce soir. Il est donc l’heure du goûter et la Verge (c’est un de mes collègues que je nomme ainsi pour des raisons que je ne mentionnerai pas ici) me dit : « Je te serre un Ricard ? »

Ce à quoi je réponds « oui » car j’ai moi aussi un petit creux. Du coup l’ensemble de l’équipe décide de se joindre à cette petite récréation plutôt sympathique et nous convenons d’un commun accord de nous en servir un deuxième puisqu’il est maintenant 16h02. Je retourne à mes occupations et pense que nous avons bien fait de ne pas pousser plus loin cette aventure anisée. Oui, nous avons bien fait me dis-je encore en moi-même. Mais voilà Ramecain (c’est un autre de mes collègues que je nomme ainsi pour des raisons que je ne mentionnerai pas ici) qui s’approche de moi par la droite, et je me demande pourquoi il choisit cette option, il est 16h15 et il me dit la chose suivante : « Je te serre un Ricard ? »

Une impression de déjà-vu me traverse l’esprit une seconde, le temps qu’il me faut pour répondre « oui » bien que je n’ai plus faim, mais étant courtois je ne peux décliner l’invitation. Du coup l’ensemble de l’équipe décide de se joindre à nous dans un pur élan de solidarité et d’un commun accord nous optons de réitérer cet élan formidable à 16h17 très précise. Bien. Je retourne à mes salades, je souris, je pense à Marseille, et j’ai une espèce de petite cigale dans le creux de mon oreille qui ne cesse de me rappeler combien le soleil de méditerranée doit être agréable à cette heure-ci. Bizarrement les tomates devant moi me font rire et je décide de leur laisser la vie sauve. Au moment même où je les épargne j’entends la voix de Guimeliaume (c’est mon troisième collègue que je nomme ainsi pour des raisons que je ne mentionnerai pas ici) me demander si je veux boire un Ricard. Comme il est 16h25 je me dis pourquoi pas et cela pour diverses raisons. La première est que je ne veux en aucun cas faire de la peine à mon collègue en répondant par la négative, la seconde est que je souhaite plus que tout faire plaisir à mon collègue en répondant par l’affirmative, et la troisième raison est que cette question me fait tout simplement rire. Alors il me serre un verre et l’ensemble de l’équipe décide de se joindre à nous en riant également. Il est 16h27 et le temps passe décidément très vite puisque nous nous resservons un godet  sans vraiment comprendre pourquoi.  C’est alors que les sous-sols de Bercy prennent soudain des allures de vieux port, notre cuisine est une sorte de guinguette aux accents du midi et nous buvons, nous chantons, nous buvons encore, et l’ivresse nous emmène ainsi dans sa grande bonté jusqu’à la fin du service dans une joie pas dissimulée du tout laissant derrière nous le souvenir d’une bouteille de pastis tristement vide présageant certainement d’une nuit à venir des plus sereines.  Il est maintenant 23h30 et il est temps pour nous de rejoindre notre hôtel. C’est ce moment précis que choisis la Verge pour dégainer une bouteille toute neuve de Jack Daniel’s dans ma direction en prononçant ces quelques mots : « Dis-moi D2 (c’est moi que l’on nomme ainsi pour des raisons que je ne mentionnerai pas ici) ça te dirait un petit apéro ? »

Là je comprends vite que si j’accepte ce verre nous sommes tous perdus et c’est la raison pour laquelle je réponds « oui » sans hésiter. L’ensemble de l’équipe nous rejoint et comme il est déjà 23h31 nous reprenons de manière tout à fait instinctive un autre verre de Jack. Il nous faut vraiment partir dans les plus brefs délais sans quoi nous allons vider cette fichue bouteille sur place et donc nous décidons de retarder notre départ pour l’hôtel ce qui a pour incidence de précipiter la fin de vie de Jack et Daniel à présent disparus à jamais. Nous amorçons notre départ dans des conditions mal appropriées à la marche à pied et je dois bien reconnaitre que la ligne droite n’est plus du tout une priorité. Nous prenons quelques provisions pour l’hôtel à savoir 1 quiche lorraine et 3 bouteilles de vin.  Comme nous sommes 4 nous mettons chacun un objet dans une de nos poches et partons enfin. L’itinéraire est assez complexe et c’est peut-être la raison pour laquelle nous perdons toutes traces de la Verge en chemin, mais comme nous sommes ivres la jungle urbaine ne nous fait même pas peur et à force de persévérance, d’inconscience et surtout de chance je crois nous arrivons aux portes de notre hôtel. Nous entrons les uns après les autres et traversons le hall spacieux et parsemé d’une cinquantaine d’étudiants brésiliens. Il y a là une espèce d’atmosphère qui me plait et tout en singeant la sobriété devant le concierge de l’hôtel je me prends d’une soudaine affection pour un jeune chien à poil court mais très vite Guimeliaume me fait remarquer, et à juste titre, que l’objet de mes caresses est en réalité un sac de voyage, alors je l’appelle Alexandre et lui jette une sucrette. Pendant ce temps Ramecain s’occupe de récupérer les clés de nos chambres et remercie le jeune homme zélé en uniforme en lui disant « merci madame ». Il me semble que tout va bien lorsque j’aperçois le ficus géant en face de moi tenter de me séduire et je tombe sous le charme ce qui n’est pas du goût de mes compagnons puisque je tente de le trainer jusqu’à l’ascenseur. J’oublie finalement cette idée lorsque je m’aperçois qu’il s’agit en réalité d’un Spathiphyllum (je pourrais vous en dire plus sur ce genre de plantes à feuillage persistant mais ce n’est ni le lieu ni le moment). Rapidement nous nous retrouvons face aux ascenseurs un peu comme au garde à vous mais avec beaucoup plus de style qu’un militaire de carrière. Et tout en fixant le cadran lumineux indiquant les étages s’égrainant les uns après les autres quelque chose me pousse, ou plutôt non ! Quelque chose m’attire sur mon flan gauche. Une force indescriptible provoque en moi le besoin de me tourner d’un quart de tour. J’observe d’ailleurs à ma grande surprise que la partie inférieure de mon corps est bien plus rapide que la partie supérieure dont mon visage fait partie et cela me donne envie de vomir alors je patiente une demi-seconde et lorsque l’ensemble de mon corps est enfin aligné je découvre avec joie ce que mes yeux tentent de me faire découvrir. Le « Cosmo Plus Design », capot en aluminium, 2 brosses à reluire, 1 brosse à nettoyer, 1 distributeur automatique de cirage, 130 watt, réservoir de 0,70 L avec soupape à bille, capot chromé (Afin d’illustrer au mieux cette histoire il faut se faire une idée très précise de l’objet, je vous laisse le lien très utile qui vous permettra d’imager le propos.  (http://www.shoeguard.com/photo/2011/fr/cireuse+a+chaussures+CosmoPlusdesign.jpg ) . Une putain de cireuse ! Elle est auréolée d’un halo de lumière bleutée que seul moi est en mesure de percevoir. Il n’y a aucun doute nous avons affaire à la Rolls des cireuses de hall d’hôtel. Elle est là et ne demande qu’à faire son travail. Alors, au prix d’un effort dont vous n’avez pas idée je tente de contacter Ramecain se trouvant à 24 années lumières de moi mais je n’y parviens pas alors je tends mon bras pour agripper son épaule. Il comprend dans l’instant qu’il nous reste, en dépit de tout l’alcool qui tente de nous sommer d’aller nous coucher enfin, le goût de l’aventure urbaine, l’aventure moderne, et qu’il nous faut absolument préserver cela. Mieux ! S’en emparer tant qu’il en est encore temps ! Alors comme un seul homme nous nous emparons du Cosmo Plus Design pour l’enfiler dans l’ascenseur qui vient de s’ouvrir. Nous voilà, nous et notre objet, sur le point d’appuyer sur la touche numéro 2 ce qui va nous propulser jusqu’à notre chambre. Mais un couple de vieux plutôt propre vient interrompre la fermeture des portes de notre vaisseau spatial et tout en nous saluant d’un signe tête muet les deux tourtereaux s’immiscent dans notre vie d’ascenseur très privée. Leur regard se dirige vers le Cosmo Plus Design que je caresse nonchalamment de la paume de ma main, Ramecain regarde le vieux en riant à pleines dents sans raisons apparentes avec des yeux scintillant de bonheur, Guimeliaume reste prostré face au coin de l’ascenseur comme une élève de CE2 puni par la méchante maîtresse. Je crois que le couple a peur mais juste avant que les portes ne les libèrent je leur dis que tout est sous contrôle et qu’ils ont tort d’être inquiets alors ils me disent « gute nacht », je cherche quoi dire et je trouve vaguement une phrase de circonstance : « Rolf und Gisela sind in der baum ». Ramecain se met à rire en allemand  et Guimeliaume  danse. Avant que les portes ne se referment complétement je peux constater que les deux vieux courent dans le sens opposé du nôtre ce qui prouve bien le manque de sociabilité évident du troisième âge envers les jeunes de 40 ans et 4 grammes.  

Nous arrivons enfin dans notre chambre, Guimeliaume danse toujours, Ramecain et moi hissons le Cosmo Plus Design sur la petite tablette servant de bureau et le relions à la prise de courant pour le mettre sous tension. Ca marche !!! Les brosses tournent et nous hurlons notre joie à gorge déployée et nous ouvrons une nouvelle bouteille de vin pour rendre hommage à Otto von Guericke ! Et puisque le but premier de notre machine est de lustrer alors nous décidons de lustrer. Tout d’abords nos chaussures, puis différents objets tels que téléphones portables, clés, stylos et autres ustensiles susceptibles de pouvoir être enfilé dans notre nouvel ami et la vie est formidable puisque tout semble pouvoir être lustré alors nous ouvrons une autre bouteille de vin. Je tente vite fait de me lustrer les dents mais les résidus de cirage présents sur les brosses me dissuadent d’aller plus avant dans mon expérience et m’encourage à finir la bouteille de vin précédemment entamée. Sans vraiment se le dire chacun d’entre nous cherche quelque chose à lustrer, et d’ailleurs il est intéressant de remarquer qu’il est plutôt rare de se poser ce genre de questions, j’ai beau me retourner le ciboulot je n’ai pas le souvenir d’avoir un jour cherché à savoir quel objet aurait les faveurs de ma lustreuse préférée. Mais l’heure est à l’expérimentation puisque nous découvrons la présence de notre quiche lorraine dépassant de la veste de Guimeliaume. Il nous faut pas plus quelques secondes pour débarrasser le film plastique qui protège la tarte aux lardons visiblement  impatients de se voir lustrer sous toutes les coutures. Je crois que nous prenons un air solennel dans les minutes précédant le bouquet final. On se recueil autour du Cosmo Plus Design, nous nous signons, buvons le sang du christ, gonflons le torse. Ramecain approche sa main du pommeau  de commande, il le presse et les rouleaux brosses se mettent à tournoyer à toute vibure. Timidement j’approche la quiche, doucement, avec retenue, Guimeliaume se cache derrière un oreiller et semble être épris d’une angoisse aux vues de ce qui risque d’arriver. Ca y est ! J’engouffre alors la totalité de la quiche dans le tourbillon infernal et le feu d’artifice commence ! La quiche, sous la vitalité des rouleaux lancés à pleine vitesse, explose littéralement et vole en éclats envoyant des dizaines de lardons de toutes parts et pulvérisant la totalité du reste de la spécialité lorraine. Une pluie de flan salé s’éparpille dans toutes les directions. L’action dure une seconde et demi mais le spectacle est au-delà de toute attente puisque la chambre est maintenant maculée du sol au plafond. Je crois que nous allons pour la première fois de notre vie, ce soir, dormir dans une quiche lorraine. Le spectacle est à peine croyable mais il est bien réel. Notre Cosmo Plus Design est vraiment la championne des championnes et la brochure ne nous trompe pas puisqu’elle dit ceci : «Cosmo Plus Design jouira d’une grande popularité et attirera les regards par sa jolie forme, aussi bien dans les ménages aisés que dans les hôtels ou les bureaux soucieux d’apporter un service discret et fiable à leurs visiteurs. » Alors je peux le dire avec force, cette cireuse est fiable bon sang et… discrète ça c’est sûr puisque nous venons de repeindre notre chambre d’hôtel en moins de deux seconde sans que le personnel de l’établissement ne puisse s’en douter. Guimeliaume est toujours reclus dans la cale de notre navire d’un soir accroupi au sol, peut-être pleure-t-il, quelques lardons fumés parsèment son crane imberbe. Ramecain me fixe du regard et me fait comprendre que le temps est venu de nous séparer du Cosmo Plus Design, il faut effacer tout soupçon quant à l’empreint de notre cireuse géniale. Je prends peur alors et j’ouvre la fenêtre me saisit avec force de l’objet du délit et décide de la balancer par-dessus bord mais elle est lourde la garce, bien trop lourde pour un homme seul et saoul. Je somme Ramecain de bien vouloir m’aider mais mon geste semble le surprendre et l’inquiéter puisqu’il me dit : « Non D2 ! C’est bien trop dangereux ! »

Il me tend alors une chaise, je m’en saisis et d’un geste révolutionnaire je l’envoie s’écraser 2 étages plus bas. La vache ! On a évité le pire. Le calme après la tempête. Un vent frais traverse la pièce. Le silence également. Il est 2h43. 20h43 à New York mais cela n’a aucune importance puisque nous sommes à Paris. Nous raccompagnons Guimeliaume et le Cosmo Plus Design jusqu’à leur chambre, nous leur souhaitons une agréable nuit. Nous récupérons le téléphone portable de l’un d’entre nous dans le ventre de la cireuse mais il est difficle voire impossible de reconnaître le modèle ou la marque de l’objet tant il est recouvert de ce mélange de cire à chaussure, de lardons et de crème.  Ramecain et moi regagnons notre chambre-quiche sur Boogie wonderland d’Earth Wind and Fire et le couloir de l’hôtel est une sorte de walk of fame constellé de millions d’étoiles éclatantes, les murs envoient des couleurs plus belles les unes que les autres, le sol est un dancefloor où nous dansons, l’ensemble du personnel de l’hôtel en haie d’honneur nous recouvre de confettis multicolores, Ramecain et moi faisons corps dans une parfaite chorégraphie qui nous emmène vers la félicité, nous sommes en 1979 et nous sommes les Earth Wind & Fire, nous sommes noirs, nous sommes ivres, vive le showbiiinnnsss, vive le funk, vive les cireuses, vive le vin, vive la vie !        

 

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6 janvier 2012 5 06 /01 /janvier /2012 17:16

Je vais vous révéler quelque chose, ou plutôt je vais vous confier deux ou trois petites choses qui me font très plaisir. Je vous les livre en toute modestie bien entendu et cela simplement pour vous faire part de ce que les autres pensent de moi si toute fois cela vous intéresse. Premier point, sachez que je suis très apprécié des gens qui m’entourent et qui me connaissent, et même de ceux qui me connaissent moins. De plus il faut savoir que cette satisfaction à mon égard concerne tous les aspects de ma personnalité, que ce soit ma culture, mon humour, ma relation aux autres, etc…  En second point je vous le dis, je suis populaire et c’est vraiment super. Les gens me connaissent et le dise. Je suis connu pour mon travail, pour mes actions menées autour de moi, mais aussi pour les projets qui me tiennent à cœur et que je souhaite mener à terme. En troisième lieu il faut que vous sachiez que je suis estimé. Oui, estimé ! On dit de moi que je suis sérieux, dynamique, honnête, sympathique, compétent, et à l’écoute. En fait je crois ne pas me tromper en disant que je surprends de manière positive l’ensemble de mon entourage. Mais je dois aussi rajouter un mot à cela. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est que les gens soient heureux autour de moi, même si, et c’est bien dommage, ce n’est pas le Pérou !

Pourquoi je vous dis tout cela ? Et bien parce que j’ai commandé un sondage auprès d’un institut compétent et reconnu pour avoir, comme on dit, une vue d’ensemble, une photographie, un instantané de moi-même à un moment donné de mon existence et cela pour une meilleure compréhension de ma vie personnelle et de son impact sur mon entourage dans le but de renforcer la cohésion entre mon apparence et mon moi profond dans un projet d’avenir à plus ou moins long terme (Oui cette phrase est très longue mais nécessaire…). Pour cette enquête l’institut de sondage a donc posé tout un tas de questions plus ou moins orientées en ma faveur à un échantillon de personnes de 12 ans et plus prélevé au hasard (si si…) dans mon entourage. En gros il s’agissait de mon épouse, mes deux enfants et Bosco le chien d’un couple d’amis à qui j’ai fais croire que moi aussi il m’arrivait de manger des croquettes et de pisser dans les jardins publiques. Ce qui n’est pas faux puisque l’autre jour encore… Oui enfin bon !

Alors je sens poindre en vous une envie subite de me dire des trucs du genre « non mais pour qui te prends-tu Philippe Maurice ? » ou encore « Hé ! Tu t’es pas regardé ? » Ben oui effectivement avec ce sondage je me suis bien regardé c’est vrai, j’aurais du mal à dire le contraire et je ne pourrais vous en vouloir de vous offusquer de cette absence totale de modestie et de cette absurde suffisance de ma part. D’ailleurs il est tout à fait légitime d’avoir ce raisonnement face à mon discours j’en conviens et bien que ce sondage imaginaire soit une farce il montre bien combien il est difficile de parler de soi. Et si cette histoire ci-dessus était vrai elle serait choquante on est d’accords là-dessus. Mais ce matin j’ai pris connaissance de la dernière idée géniale de notre municipalité qui, non contente et satisfaite de son catalogue-bilan publié il y a peu (voir un précédent article intitulé « Le bilan de la mairie me rend fou »), vient de nous pondre le sondage du siècle concluant avec les trois points suivants :

Notre ville est très appréciée.

La municipalité de gauche est populaire dans une ville de droite.

Notre maire de gauche est populaire dans une ville de droite.

J’en reviens pas ! Je suis au bord des larmes tant la nouvelle me submerge de bonheur. Parce qu’il faut bien reconnaitre une chose, toute l’équipe municipale était sacrément tendue dans l’attente des résultats de l’enquête et je les comprends, imaginez que la conclusion soit quelque peu différente :

Notre ville est très méprisée.

La municipalité de gauche est détestée dans une ville de droite.

Notre maire de gauche est haï dans une ville de droite.

Enfin quoi, faut pas rêver, si les sondages politiques ne profitaient pas à ceux qui les commandent et les payent il n’y aurait aucun intérêt à publier les résultats amers d’une enquête d’opinion desservant le maire et son équipe aux responsabilités. Le but même d’un sondage favorable, et c’est bien là un pléonasme du point de vue de celui qui en est le commanditaire, est de consolider une image et influencer l’opinion collective dans le sens du résultat de l’enquête. On sait tous le pouvoir médiatique et l’influence de ce qui est dit ou écrit sous couvert de transparence, d’honnêteté. Si je vous dis que je suis heureux et que je vais bien et que mon état de santé est satisfaisant vous allez me croire simplement parce que je le dis et qu’à priori il n’y a aucune raison de ne pas me croire. Si par le biais d’une annonce publique est publiée, de surcroit sous couvert de l’intégrité reconnue de l’institut de sondage en question, le résultat d’un bilan en or massif il y a fort à parier qu’une majorité prendra le message annoncé pour argent comptant. Alors on se gargarise, on se réjouit dans les couloirs de la mairie, dans les pages d’accueil du site en ligne, on se félicite, on se congratule chaleureusement de l’opinion favorable des administrés interrogés et on en oublie le bon sens, on en oublie juste la raison qui devrait les pousser à ne pas se fourvoyer dans ce genre de travers politique indigne d’un élu regardé par ses concitoyens. Je ne vois d’autre rôle en ce sondage que celui de convaincre le plus grand nombre de l’optimisme, de la popularité, la volonté, la notoriété ainsi que la bonne image de « not’ bon maire » dans un projet presque dissimulé qui à terme n’aura d’autre finalité que d’accorder un nouveau mandat à cette même municipalité !

Je suis tout de même excédé de voir cette mairie se regarder le nombril, de voir ce maire se contempler au travers du spectacle d’un sondage mis en scène par lui-même et qui en oublie d’être simple. Ce sondage est une offense à notre sens critique, notre esprit de discernement. Ce sondage a coûté je crois 15000 euros ce qui au regard de son indispensable nécessité me paraît tout à fait disproportionné. Peut-être aurais-je préféré voir affecter cette somme à quelque chose de plus constructif alors c’est vrai mon seul pouvoir dans cette affaire reste le commentaire mais je noterais tout de même non sans émotion que, bien malheureusement, Metz a décidément un Gros problème.       

 

 

    

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2 janvier 2012 1 02 /01 /janvier /2012 19:04

J’ignore si le lundi est un jour propice à cela mais je vais en profiter pour vous souhaiter le meilleur à vous tous qui prendrez le temps de me lire. Il est de bon ton de présenter ses vœux et je fais partie de ceux qui bien entendu les reçoivent toujours avec grand plaisir, mais je me demande ce que peut bien contenir dans le détail ces sympathiques et bienveillants « vœux ». J’imagine bien que, selon tel ou telle, la teneur des souhaits en question doit être bien différente et je regrette vraiment de ne pas avoir accès à la liste exhaustive de ce que l’on espère pour moi et les miens en ce début d’année. D’autant que de mon propre point de vue il m’est déjà bien difficile d’exprimer ne serait-ce qu’à demi voix la couleur des rêves qui me poussent encore aujourd’hui, et bien que mes envies restent simples je vois bien la difficulté de mener à bien ce dessein dans la rudesse du quotidien de ma vie simple et néanmoins moderne. Alors d’accords j’entends ceci « Tous mes vœux pour cette nouvelle année », ou cela « Bonne année et bonne santé » et j’en suis ravi mais j’aimerais qu’on m’en dise davantage, j’aimerais qu’on me précise ce qu’est finalement une bonne année ! Car en tout état de cause j’imagine qu’il est plus qu’évident qu’un Nicolas Sarkozy aura une vision très éloignée de la mienne dans l’idée qu’il se fait d’une bonne année 2012. Il est aisé de penser que mes attentes pour l’année à venir vont être aux antipodes de celles d’un Bernard Arnaud certainement soucieux de conserver sa première place au classement des 10 plus grosses fortunes de France. Nos prétentions sont bien différentes les unes des autres convenons-en et les miennes quoique raisonnables n’en restent pas moins ambitieuses, le bonheur est un effort de chaque instant et un travail de longue haleine. Disons, une quête à géométrie variable, un espoir à la mesure de ses moyens, et chacun de nous projette ses attentes un peu comme il peut, ou comme il ose…  Je crois qu’on manque cruellement d’ambitions en la matière et c’est bien dommage car des perspectives heureuses se perdent dans ce manque d’appétit, nous laissant un espoir bien trop étriqué, bien trop frileux finalement pour appréhender ces temps nouveaux.  

Pour ma part je serais heureux de personnaliser les vœux de la nouvelle année en fonction de chacun et ainsi avoir une pensée créative, originale, et pourquoi pas absurde dédiée à un ou une en particulier, favorisant ainsi le développement d’une bonne humeur salvatrice et pourquoi pas contagieuse. Mettons alors du cœur à souhaiter des trucs de dingues à chacun d’entre nous, souhaitons-nous les rêves le plus fous peut être juste pour susciter l’envie et le désir. Prenez parti pour l’utopie, pour le fantasme, ou tout bêtement pour le superflu. Serait-il possible d’espérer des chaussettes rouges pour tout le monde ? Serait-il idiot de souhaiter une température constante de 23 degrés et cela tout au long de l’année ? Pourquoi ne serait-il point permis d’espérer marcher pieds nus du matin au soir ? Souhaiter le goût fraise pour tous les dentifrices, que tous les horodateurs disparaissent de la surface du globe, que le trou du cul des chiens se bouchent à jamais pour ne plus marcher dans leurs excréments (ben oui, puisqu’on marcherait tous pieds nus), qu’MTV soit diffusée mais uniquement sous terre et que son directeur des programmes soit condamné à subir 2500 heures de ses propres émissions sans possibilité de fermer ne serait-ce qu’une paupière, je souhaite aussi qu’ on élève à titre posthume la mère Denis au rang de grand officier de la légion d’honneur, qu’il n’y ai plus jamais de tomates en hiver, qu’on invente des oreillers-glaçons pour les chaudes nuits d’été, et pourquoi pas, des quiches lorraines tièdes pour tous les enfants du mondes (c’est meilleurs que les bonbons pour les dents). Voilà, que nos envies soient ponctuées de bourgeons réjouissants pour que nos vies fleurissent sans attendre et nous permettent, me permette de vous souhaiter de chanter toujours plus que nécessaire, de vous souhaiter de respirer et de remplir vos poumons comme jamais, de vous souhaiter de vous arrêter une minute et de regarder les autres autour de nous, peut-être même de tendre la main, de vous souhaiter d’entendre le rire des enfants et de rire avec eux, je vous souhaite d’ouvrir les yeux vers d’autres horizons même si celui-ci est le trottoir d’en face, d’être meilleur toujours un peu plus, et je vous souhaite de ne rien regretter. Bonne année quoi !

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28 décembre 2011 3 28 /12 /décembre /2011 10:29

Hier est un jour que je n’oublierai pas. J’ai salué un ami pour la dernière fois. Hier était un jour comme on aimerait sans aucun doute jamais avoir à vivre et qui par la force du destin vous force à accepter le sort cruel que la vie parfois nous réserve. Quelques fois il est bon de prendre la juste mesure des choses, et ces moments-là vous rappelle tout l’amour nécessaire à nos vies. Hier j’étais à la fois tous ces gens réunis pour rendre ce dernier hommage à mon ami, le nôtre, le leur. Chacun d’entre nous avait ce rapport particulier, ce lien propre, cette unique relation, et cet irremplaçable élan du cœur qui en ce jour d’adieu nous invitait tous ensemble à des larmes solennelles. Hier j’ai pleuré et pourtant toutes les images associées à Boris ne sont que des images de joies. Je crois que je n’en ai pas d’autres, je crois que nous n’avions partagé que du bonheur. Mes souvenirs ne sont que des rires, ils ne sont que chansons, ils ne portent que l’espoir de vivre mieux encore et toujours. Ce qu’il me reste au fond ce n’est rien d’autre que l’amour mutuel que l’on se portait. Des voix s’élèvent sur des mélodies que nous aimions, sur des accords que nous jouions, et ces voix sont les nôtres. Elles me transportent encore tout comme elles le faisaient à l’époque où nous apprenions à nous connaître. On aimait vraiment jouer ensemble, on aimait chanter ensemble, on aimait rire ensemble, j’aimais être avec lui. J’aimais qu’il réponde à ma joie de le voir par un sourire, toujours ce sourire, plus fort qu’une poignée de main, plus fort que tout le reste sans doute. Ce sourire contre lequel on ne peut rien, en tout cas rien d’autre que la réciprocité sincère de celui-ci. Boris avait cela et nous partagions ce trait commun que j’aimais par-dessus tout. Le temps passe, et un jour la tristesse nous renverse, la peine nous transperce et nous révolte bien entendu. Je pleure, nous pleurons tous, oui, parce nous avons tous des regrets et des questions qui resterons sans réponses. Ce vide insensé qui se dresse comme une abîme sans fond devant l’absence soudaine et au combien lourde à porter, à supporter, n’est autre que l’amour, tout notre amour pour lui et qui reste orphelin nous rappelle combien il est important de chérir ceux qu’on aime par-dessus tout, combien il est important d’aimer ici et maintenant. Chacun d’entre nous aurait voulu lui dire, après coup, combien il comptait pour nous pour ne pas dire aujourd’hui qu’il nous manque. Boris me manque. Oui, il me manque. Et ce manque n’est pas sa présence, c’est le savoir vivant, c’est me demander ce qu’il fait, me demander où il est, me demander s’il aimerait qu’on se voit, me demander s’il va bien... Ces questions me manquent et me rappelle aussi combien j’aurais dû les lui poser plutôt que de les laisser en suspend et les remettre à demain. Alors oui, que fais-tu, où est-tu, vas-tu bien, putain ! Il y a des milliards d’inconnus sur cette terre, des millions de gens qui partages le même sol, des centaines que l’on côtoie, des dizaines qui comptent à nos yeux, et il y a surtout les quelques-uns qu’on aime parce qu’ils sont ce qu’ils sont, et toi je t’aime Boris et tu n’es pas là pour l’entendre. Alors je l’écris aux autres, eux l’entendrons ! Au moins pour leur rappeler qu’il faut dire ces choses-là plus que tout autre chose, et tout le reste est sans importance, et tout le reste ne compte pas plus que l’ombre de rien, car rien n’est bon, rien a de saveur, tout ne peut être que vain s’il est sans amour. Partageons cela. Ne tardons pas. Ne tardons plus. Surtout plus.

Boris… je te vois passer la porte de chez moi, tu es avec Jacques, Arnaud. Tu as une guitare à la main, quelques médiators dans une de tes poches. Nous nous asseyons peut-être autour de la table ronde de la cuisine et bien entendu il fait beau. Le soleil entre par la porte fenêtre et sortons alors quelques verres. Nous buvons à notre santé. Qui d’autre ? Et nous jouons quelques belles chansons, je crois reconnaitre Neil Young, Oasis, Sting… et nous fumons je crois. Nous rions, nous sommes innocents. On pourrait dire que nous sommes heureux d’être ensemble encore. Parfois rien, non rien de plus n’est essentiel à certains bonheurs, aux joies simples et intimes qui enflamment nos cœurs, j’en suis sûr, pour toujours et à jamais… 

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7 novembre 2011 1 07 /11 /novembre /2011 18:39

Jean René Duglot est un homme pressé. Il fait des affaires, et il vend, il vend encore et toujours, il est comme on dit : Sur le coup. Jean René Duglot n'est pas de ceux qui se laissent embobiner. Il n'est pas là pour courber l'échine. Ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire la grimace et à presque cinquante-quatre ans et demi on ne reçoit plus de leçons de quiconque. La vie de Jean René Duglot n'a pas toujours été simple mais il est bon de préciser que son parcours ressemble comme deux gouttes d'eau à une douce croisière sur une mer d'huile. Jean René Duglot, depuis maintenant trente ans, vend de l'espace publicitaire pour un ensemble de journaux, de magasines en tout genre et c'est très bien ainsi.   

Jean René Duglot est finalement un homme simple. Il se lève, tôt, va travailler, rentre chez lui, tard, puis va se coucher. Ce n'est pas si compliqué finalement de bien vivre sa vie. Jean René Duglot n'est pas avare de sentiments puisqu'il partage sa vie avec deux charmants inséparables qui lui font cuicui à longueur de temps. Jean René Duglot est aussi un homme bon, il n'hésite pas à descendre les poubelles de sa voisine de palier Mme De la Rochampois de trente ans son aînée. Bref ! A ce rythme le quotidien de Jean René Duglot est loin de ressembler à une morne plaine.

Ce qui peut vraiment caractériser Jean René Duglot est sans doute son goût immodéré pour les chiffres. Il calcule sans répit, sans trêve, il calcule à tout bout de champ. Il calcule son chiffre d’affaire, les marges, les surfaces de quadrichromies, il calcule le nombre de clients, le nombre de rendez-vous. Enfin quoi ! Il calcule sous la douche, en voiture, il calcule en mangeant, il calcule un buvant son café, dans l'ascenseur, et même jusque dans les chiottes !

A l’évidence Jean René Duglot est usé par les chiffres, il est fatigué, vidé… foutu.

 

Aujourd'hui c'est vendredi. La semaine fut chargée mais tenable. Il est vingt heures et quarante-sept minutes, la journée est terminée et Jean René Duglot respire enfin l'air du week-end. Il a, pour le coup, dévissé sa cravate et déboutonné le premier bouton qui jusqu'ici lui interdisait de respirer à plein poumon. Il regarde son automobile et il sait qu'elle va le reconduire jusqu'à son appartement. C'est une voiture de fonction banale de cylindrée moyenne et de couleur sans éclat. Jean René Duglot retire sa veste, l'arrange sur un cintre en plastique noire et l'accroche à l'arrière sur le petit crochet prévus à cet effet. L'odeur des plastiques encore neufs est de nature à rassurer Jean René Duglot. D'un geste sûr il tourne la clé du contact. Le moteur se met en route. Un œil dans le rétroviseur et il intègre le flot de circulation plutôt fluide à cette heure tardive. Machinalement il allume le poste de radio.

"… ené Duglot bonsoir, on vous retrouve demain matin pour le bulletin météo, tout de suite une page de pub et on retrouvera juste après Julien Delacombes pour le flash de 21 heures, bonsoir… A demain."

 Jean René Duglot reste dubitatif. Il pense avoir entendu son nom à la radio mais il n'en n'est pas sûr. Cette station de radio il la connait par cœur, les animateurs et journalistes font quasiment partie de la famille. Serait-ce un nouveau venu ? Un homonyme ? Ou peut être tout simplement aurait-il mal entendu, ou mal compris. Peut être était-ce Cuglot, ou Buglot ou même Guglot. Ou peut être est-il simplement fatigué.

De toutes manières, cela est sans importance. Ce qui compte c'est le week-end et son flot d'activités. Sortir les oiseaux, sortir les poubelles de Mme De la Rochampois, sortir quoi !

Le feu est rouge et Jean René Duglot tapote de ces doigts, habiles à ce jeu, sur le haut du volant tout en fredonnant un air qui n'existe pas mais qui semble lui plaire. Un autobus des transports en commun vient croiser son regard et ses yeux le suivent de manière instinctive. L'affiche publicitaire collée sur le flan lui fait penser qu'il serait sans doute bon qu'il s'intéresse à ce genre d'espace pour promouvoir l'image de ce grand magasin dont il vient de décrocher le budget. Mais quelque chose semble gêner Jean René à la vue de cette affiche. C'est l'annonce de la sortie en salle de "Ma vie à tout prix" de Guillaume Degain avec Marina Stain et Jean René Duglot. Le bus s'éloigne et disparaît.

Jean René Duglot n'en croit pas ses yeux. "Ce n'est pas possible ! Non mais je rêve !!! Qu'est-ce que c'est que ces conneries !!!"

Le feu passe au vert et la voiture de Jean René Duglot reste immobile. Ses doigts ne tapotent plus, et ses ongles sont plantés dans cette matière tendre qui recouvre le haut du volant. Jean René Duglot n'entend pas les coups de klaxons qui le somment de dégager. D'ailleurs il n'entend plus rien du tout et ne revoit que cette affiche absurde de ce film le mettant en scène. L'insistance des autres automobilistes a finalement raison de Jean René Duglot et l'oblige enfin à prendre le large.

Il roule, les rues défilent, les carrefours et les feux l'épargnent, et rejoint enfin son quartier. La voiture s'arrête sur l'emplacement réservé, il coupe le moteur, retire les clés et descends du véhicule. Il attrape ses affaires rapidement pour condamner les portes sans plus attendre.

La porte du hall d'entrée passée, Jean René Duglot ramasse son courrier. Rien de particulier, des factures, des prospectus et… "Ah non, pas ça !!!" s'écrie Jean René Duglot. Le tract électoral qu'il tient dans sa main dit ceci : Pour la voix du renouveau, votez Jean René Duglot.

Quelqu'un, sans doute, cherche à déstabiliser Jean René Duglot. Pourtant rien ni personne n'aurait quelque intérêt que ce soit à empoisonner l'existence de ce brave citoyen. Jean René Duglot n'a aucun ennemi, il paye ses impôts en temps et en heure, ses amis, pour le peu qu'il en sait, sont des gens plutôt bien. Jean René Duglot est perplexe, il cherche des réponses. Quels peuvent être les motifs d'un tel acharnement ? Jean René Duglot ne comprend pas. Il regarde autour de lui cherchant une présence ou quelque chose, mais rien d'autre qu'un hall d’entrée vide. L'escalier, l'ascenseur, les deux portes automatiques s'ouvrent devant lui l'invitant à entrer pour presser le bouton du troisième étage. Le trajet s'effectue un moins de temps qu'il faut pour le dire et libère Jean René Duglot. Face à lui, la séduisante, somptueuse et insensée Mme Von Dereich lui apparaît enveloppée d’une tenue superbe ne laissant aucun doute sur la perfection de sa plastique. Le charme opère et la surmonte d'un halo de lumière éclatant, irradiant les yeux éblouis et fatigués de Jean René Duglot. Il la salue timidement, soupçonne une légère érection et le miracle de la vie disparaît dans le ventre de l'ascenseur. Le cliquetis du trousseau de clés le ramène à la vie. Il déverrouille la serrure et passe le seuil de la porte. Il sera, là, enfin à l'abri plus que nulle part ailleurs. Il envoie balader ses deux souliers, arrache presque sa cravate comme pour signifier qu'à présent tout est fini, qu'ici il ne peut rien arrivé, car ici, c'est chez lui.

Son cerveau lui ordonne de traverser l'appartement en direction du petit meuble où se trouve la bouteille de scotch. Un double est de rigueur. Il l'avale. Un autre. Il l'avale. Jean René Duglot s'assoie. Ses doigts encerclent le verre vide et le tiennent en quasi équilibre. Il revoit cette affiche de cinéma, ce tract, la voix du poste prononçant son propre nom. Il n'y croit pas, du moins il aimerait ne pas y croire.

Il n'a qu'un geste à faire pour enfoncer la touche de son répondeur pour prendre connaissance de ses messages…

Biiiiip. Ouais Jean René c'est Michel… Bon t'es pas là heu… je voulais te parler d'un truc, mais bon… je te rappelle… Biiiiip. Salut c'est moi, t'es là ?… t'es pas là ?... Si t'es là décroche bon sang… Biiiiip. Oui bonjour Jean René Duglot à l'appareil pouvez-vous me rappeler à mon domicile à partir de vingt et une heures trente, il m'arrive un truc de dingue… c'est très important… merci… Biiiiip… Biiiiip…

A l’écoute de ce dernier message Jean René Duglot sent une goutte de sueur perler à son front et pense qu’il doit impérativement se resservir un troisième double scotch. Une boule d'angoisse le ronge à présent. Il ne sait plus quoi faire, sa main est moite et laisse échapper le verre vide.

Spontanément il s'empare de la télécommande et allume son téléviseur. Le visage de Mireille Dumas s'illumine sur le plateau de "Vie d’avant, vie d’après" où elle présente ses invités.

Notre prochain invité est Jean René Duglot, vous êtes né à Valenciennes, vous avez cinquante quatre ans, expliquez nous ce que vous faites dans la vie.

Et bien je suis courtier, c'est-à-dire plus précisément je vends des espaces publicitaires dans un grand quotidien régional… Je peux le citer ?...

Non non on ne cite pas de marques à l'antenne, merci. Jean René vous avez une passion en dehors de votre métier, le Karaoké et vous allez nous interpréter une chanson d'une de vos idoles, qui est…

Heu… Mike Brant, et je vais vous chanter "C'est ma prière".

 

Jean René Duglot est sidéré. Il est assis là, et à l’intérieur de ce foutu poste de télévision il se voit en train de chanter une chanson stupide devant la France entière ou tout moins une bonne partie. Il regarde d’un peu plus près, voit des détails qui ne peuvent le tromper. Ce complet bleu qu’il porte est celui qu’il avait, pas plus tard qu’hier encore. Aucun doute n’est permis, c’est lui. Alors il cherche une faille, une réponse. Il ne connaît pas Mireille Dumas, il n’a jamais mis les pieds sur aucun plateau de télévision. Jamais. La vision de lui chantant est insupportable alors il zappe.

TCHHHH… Alors Jean René Duglot pourquoi avoir accepté cette année de parrainer le Téléthon ?..

TCHHHH… Sur France 2 ce soir Guillaume Durant reçois Jean René Duglot pour son dernier roman « L’inéluctabilité du sort » paru au Seuil…

TCHHHH… Moi, pour mes enfants je souhaite ce qu’il y a de mieux. Et pour le goûter ? J’ai toujours des barres de céréales Duglot. Duglot ! C’est le goûter qu’il leur faut !...

 

Ah non, NON, NON !!! ASSEZ ! ASSEZ !!! Mais qu’est-ce qu’ils me veulent ? Qu’ai-je fais bordel ? Jean René Duglot pleure et perd pied. Il faut absolument se ressaisir pour ne pas sombrer dans une démence qui le condamnerait. Respirer. Oui respirer. Et respirer encore. Il y a une explication, il y a toujours une explication à tout. Le surmenage, la fatigue, l’âge, les soucis. L’insomnie. Jean René Duglot se lève malgré des jambes trop molles et se dirige vers le réfrigérateur. Il veut se mettre quelque chose sous la dent, il veut avaler du concret. Sa main farfouille, il y a là des restes de l’avant-veille et de bien avant, des yaourts, une pomme, des œufs, un tube de mayonnaise, et un… camembert Jean René Duglot. La vision absurde de ce fromage le pousse d’instinct à claquer la porte sur ce cauchemar au lait cru. Sa main tremble et pourtant il tente la porte du congélateur, là au milieu du givre accumulé depuis des semaines stagne une boite de pizza surgelée Jean René Duglot aux trois fromages. Un mouvement de panique le fait reculer, ses pieds ne sont plus sûrs du tout et il se raccroche à ce qu’il peut pour se maintenir encore à la verticale. La pizza Jean René Duglot fait toujours face à notre héro éponyme qui ne peut en décrocher son regard transi. Dans son dos, sa main cherche à tâtons le téléphone posé sur le plan de travail sur lequel il vient de s’appuyer. Il s’en saisit et compose le numéro de son ami Franck Lisembois qui décroche dans l’instant en disant ceci :

Oui bonjour, Jean René Duglot à l’appareil j’écoute.

Heu… Allô… Franck ? C’est toi ?...

Ah non, pas du tout ! Jean René Duglot à l’appareil. Qui demandez-vous ?

Mais, JE SUIS Jean René Duglot. Vous ne pouvez pas être Jean René Duglot puisque JE SUIS Jean René Duglot !

Ecoutez monsieur, qui que vous soyez cette plaisanterie est d’un goût douteux. JE SUIS Jean René Duglot et je ne vous souhaite pas le bonsoir !

Jean René Duglot lâche le téléphone, le laissant ainsi se briser sur le sol carrelé. Le silence à présent n’est perturbé que par l’unique grésillement du frigo qui n’en peut plus d’être encore ouvert. La folie s’apprête à prendre inéluctablement possession de Jean René Duglot. Mais quelque chose de vivant semble ramener Jean René Duglot à ce qu’il espère être la réalité. Un grondement. Un bruit venant du dehors. Un cri de la rue à peine perceptible mais qui s’amplifie de manière tout à fait certaine. Ce sont des voix qui haranguent, qui scandent, mais il n’en n’est pas encore sûr. Pas encore. Il approche de la fenêtre pour en avoir le cœur net, et d’un coup d’œil comprend très vite de quoi il s’agit. Un cortège avance à pas décidés et il n’a pas l’air de vouloir rigoler. La foule est composée d’hommes, de femmes, d’enfants même, et de gens de toutes sortes mais tous transpirent cette colère que Jean René Duglot ne comprend pas jusqu’à ce qu’il commence à distinguer quelques slogans affichés sur les banderoles et calicots portés à bouts de bras. « Duglot on aura ta peau », ou « Duglot tu nous mens, tu ne passeras pas ! », ou encore « Duglot salaud, au poteau ».

C’est à cet instant précis que les nerfs de Jean René Duglot eurent raison de lui. C’est là que la démence décida de s’emparer du bonhomme. Jean René Duglot, maintenant, est fou. Il ouvre cette putain de fenêtre, enjambe le parapet avec force et conviction. La foule est là et se masse devant le domicile de Jean René Duglot. Les mâchoires de ces chiens affamés lui crachent des insultes au visage et attisent une hystérie maintenant sans retenue. Un afflux de sang dans ses capillaires vient teinter son regard d’une haine jusque-là inexistante dans la vie de Jean René Duglot. C’est à lui maintenant d’aboyer les pires injures en direction de la rue. Il brandit le poing serré comme jamais tout en s’agrippant au montant de la fenêtre. Sa hargne est portée par les clameurs du peuple qui le déteste. Lui, il se penche encore davantage et se suspend au vide, son corps est tout entier une arme prête à décimer les légions qui lui font face. Rien ne peut arrêter cela, sauf peut-être ce moment d’inattention, ce moment de trop, où son pied en mauvais appui cèdera sous la colère animale de Jean René Duglot le précipitant vers sa propre chute deux étages plus bas. (…)

 

 

Dans la douceur claire d’une chambre d’hôpital aux murs pâles Je reviens doucement à ma vie. Je découvre la blancheur des draps me recouvrant et la tiédeur de l’air. Un vague rayon de soleil m’empêche d’être vraiment sûr de ce que je vois autour de moi mais la douleur de ma jambe m’aide à comprendre ce que je fais là. Quelque chose enserre ma mâchoire et m’empêche de prononcer le moindre mot. Un tuyau souple et transparent relié à une poche plastique suspendue plus haut vient s’échouer dans une veine de mon avant-bras. Je ne ressens rien sauf ce doute immense sur la véritable raison de ma présence en ces lieux. Je revois des images floues du film de la veille, je ne suis pas certain mais des bribes de souvenirs me reviennent au fur et à mesure que je reprends la maîtrise du temps présent, et j’entends de nouveau la foule, et la voix dans le téléphone, les images de la télévision se mêlent au souvenir d’une pizza 4 fromages, et… La porte de la chambre s’ouvre. Une infirmière apparait, elle s’approche, son visage est familier à mon regard. Elle s’attarde sur le cathéter et ne dit toujours rien. Son sourire est de nature à être rassurant, tout comme le parfait cérémonial de ses gestes. Ses yeux se posent enfin sur mon front, puis la paume de sa main avec une presque tendresse non feinte.

On dirait bien que vous n’avez pas de fièvre ce matin. Pourtant vous avez fait des cauchemars cette nuit, je suis venue trois fois remettre votre perfusion et replacer vos draps. Savez-vous que vous parlez en dormant ? Vous le saviez ? Enfin, je devrais dire gémir car avec votre mâchoire bloquée vous ne pouvez pas articuler grand-chose. Je ne sais pas exactement de quoi il s’agissait mais vous aviez l’air d’en vouloir à la terre entière… Bon, en tout cas vous avez l’air en forme aujourd’hui, je ne sais plus si je vous l’ai dit mais vous avez de la visite ce matin.

Je la regarde et le doute doit sûrement se lire sur mon visage puisque, sans attendre, elle me fait face, me sourit, et me prend la main.

Vous ne vous en souvenez probablement plus mais le chirurgien qui s’est occupé de vous vient vous rendre visite ce matin. Il ne devrait d’ailleurs plus tarder à arriver.

Je ferme alors un instant les yeux pour les rouvrir l’instant suivant en direction de la porte. Mais je suis saisi d’un effroi redoutable lorsque je vois celui que j’imagine être l’homme devant me rendre visite. Un tremblement m’étreint et me force à la panique, je ne veux qu’une chose alors c’est fuir de cette chambre mais mon état me condamne désespérément à subir cette image folle et absurde cloué à mon lit-prison. Mon regard appelle à l’aide, en vain, d’une voix souriante qui ne me rassure pas du tout mon infirmière me présente celui qui à présent se tient debout à ma gauche, celui dont le visage m’effraie, ce visage qui est le parfait reflet de mon propre visage. Lui ou moi me regarde et de sa bouche sort une voix qui est la mienne, et me dit qu’il est très heureux de faire ma connaissance, et ajoute qu’il souhaite se présenter, alors il me dit : Duglot, Jean René Duglot, ravi de vous rencontrer…

 

Oh, putain ! Dis-je.

 

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